lundi 6 mai 2019

La Belle équipe - Julien Duvivier 1936 - Version restaurée en 2015

                                                       




Le 1er juin 2016 est marqué d'une pierre blanche dans l'édition cinématographique. C'est en effet, à cette date que sort, enfin (!!), en DVD et Blu-ray, le fleuron du cinéma français des années 30, La Belle équipe de Julien Duvivier. En France, le film n'avait jamais été, jusque-là, édité en DVD. Il y a bien eu une sortie VHS, mais l'éditeur René Château a dû en arrêter l'exploitation suite à une décision de justice. Retour en arrière. Julien Duvivier termine son film en lui assignant une fin tragique. En septembre 1936, le film sort en salles. Et fait un flop, malgré une jolie brochette d'acteurs. C'est alors que le producteur, Arys Nissoti, demande à Julien Duvivier, pour des raisons évidemment commerciales, de réaliser une autre fin, plus heureuse, et plus conforme à l'air du temps, une sorte de happy-end. Duvivier  s'exécute à contrecœur, et c'est ainsi que, fin octobre 1936, au cinéma Le Dôme, à La Varenne-Saint-Hilaire, le film fut présenté avec ses deux versions. Arys Nissoti et  Julien Duvivier avaient convenu ensemble que le public voterait et choisirait une des deux versions. Voilà une façon pour le moins originale et peu orthodoxe de décider de la fin d'un film ! ! À une très large majorité, la version optimiste fut plébiscitée par le public. C'est donc avec cette version que le film sera désormais exploité. Au grand dam de Julien Duvivier qui n'acceptera jamais cette fin, affirmant haut et fort qu'elle ridiculise son film. Les héritiers, Christian  Duvivier, fils du réalisateur Julien Duvivier, et Jeanine  Spaak, épouse du scénariste Charles Spaak, vont porter l'affaire devant les tribunaux, et les éditions René Château vont être condamnées pour avoir exploité le film dans sa version optimiste, sans l'accord des héritiers. Ce qui m'amène à penser que ces derniers ont eu raison de réhabiliter la volonté et les intentions artistiques du cinéaste. Là où le bât blesse, c'est que pour des raisons évidemment financières, l'édition du film s'en est trouvée complètement bloquée, les ayant droits usant du droit moral pour obtenir des compensations financières, le plus souvent exorbitantes. Cette situation est absolument révoltante et affligeante. Certains films, encore jamais édités, vont rester longtemps au placard pour des histoires de gros sous... Comme le dit si bien Patrick Brion qui présente le Cinéma de Minuit sur France 3 : "On n'a pas le droit, sous prétexte financier, d'empêcher des films d'être vus. C'est un patrimoine culturel. Il faut protéger les auteurs. Mais les films encore plus. C'est capital !" Si aucun accord financier n'est trouvé, le film n'est tout simplement pas édité. Atterrant.

Mais je reviens  au film. Cinq amis au chômage gagnent à la loterie. Ils décident ensemble, d'acheter un vieux manoir, aux bords de la Marne, et de le retaper pour en faire une guinguette. Sur cette trame, d'une simplicité enfantine, Julien Duvivier réalise un film populaire d'une exceptionnelle qualité. La qualité d'interprétation est éblouissante. Autant dire que la barre est placée très haut. Jean Gabin, bientôt au faîte de sa gloire, livre une prestation mo-nu-men-tale. Lyrique, passionné, coléreux, attendrissant, il rayonne, et son talent crève l'écran. Sa gouaille et son punch émerveillent. Lui qui a fait ses débuts au music-hall, n'a aucun mal à pousser la chansonnette. Son allure, son aisance et sa prestance sont éclatantes. Gabin fait le show ! L'irrésistible Charpin, avec sa bonhomie naturelle, est un délicieux gendarme qui a ces mots merveilleux en parlant de son métier: "La loi c'est la loi.... Surtout pour un gendarme... !" Raymond Cordy est tout simplement grandiose en ivrogne invétéré. Raymond Aimos, lumineux, est animé d'un feu intérieur intarissable. Et Charles Vanel, en éternel amoureux dépité, est tellement lugubre et taciturne qu'on aimerait lui donner des tapes dans le dos pour lui remonter le moral ! Seul personnage féminin vraiment consistant, Viviane Romance tient là son premier grand rôle de garce. Elle est parfaite en femme calculatrice et manipulatrice.

La Belle équipe est un peu l'emblème d'une époque, celle du Front Populaire. Non que le film soit engagé politiquement. De ce point de vue, il n'a aucune visée particulière. Encore que... il y a cette réplique dans la bouche de Gabin qui résonne comme une utopie politique : "Ici, c'est une République où tous les citoyens sont présidents." Non, l'esprit du Front populaire réside plutôt dans l'effervescence et les espoirs qui ont présidé aux changements sociaux. En ce sens, La Belle Équipe constitue un précieux témoignage des utopies de l'époque. 1936, ce sont les premiers congés payés. Sur une affiche publicitaire, dans le film, on peut lire : "Pourquoi se morfondre à Paris ? Stockez de la santé parmi les neiges éternelles." Les Français découvrent les vacances, les loisirs, le farniente... Une ambiance des plus paisibles que le film rend admirablement bien. En dépit de sa noirceur, le film exalte les valeurs d'entraide et de fraternité, et déploie une énergie, une vitalité, hors du commun. Mais ce qu'il y a de fascinant chez Julien Duvivier, c'est qu'il réussit, de façon totalement inattendue, à passer d'un bonheur festif au drame le plus cruel. Pour autant, ces petits accidents tragiques de la vie semblent disparaître aussi vite qu'ils arrivent. C'est un peu comme s'ils n'avaient pas de réelle emprise sur la vie, ils sont bien là, mais la vie continue malgré tout... Voilà pourquoi je serais tenté de dire que, malgré sa fin tragique, La Belle Équipe n'est pas un film aussi noir et pessimiste qu'on a bien voulu le présenter.
Kermite.


Bonus : 


- En deux parties, Julien Duvivier raconte sa carrière sur les ondes en 1957 - France Culture 55mn et 1 heure (Flac) 542 Mo
- Eric Bonnefille en historien du Cinéma présente l'œuvre de Julien Duvivier et La Belle Équipe. (13mn- FLAC) 54 Mo
- Un article de Télérama A tout bout de chants sur la musique en 1936. (pdf) 4 Mo
- Tiré de l'Atlas du Cinéma Français, un chapitre consacré à la filmographie de Julien Duvivier. (pdf) 37 Mo
- Présentation du film La Belle équipe par Olivier Père (2mn) 48 Mo
- Extraits du Blu-Ray La Belle Équipe : la bande annonce (3mn- 749 Mo) et un documentaire (24mn - 5,85 Go) avec notamment des interviews de Charles Spaak et de Viviane Romance, ainsi que des entretiens avec Eric Bonnefille (auteur de Julien Duvivier – Le mal aimant du cinéma français) et d' Hubert Niogret (auteur de Julien Duvivier – 50 ans de cinéma). 




Liens :  
https://1fichier.com/?7fdpd4vu3crwh57lobt6
https://uptobox.com/emyxyqn1kvm2
HDTV (1080x1440)




2 commentaires:

  1. C'est par le plus grand des hasards que je suis arrivé sur ton blog Kermitou (enfin pas tout à fait, heureusement que tu as mis un lien chez Kebekmac). Et quel plaisir de découvrir sur ce blog cette même passion du cinéma que sur tes posts chez Kebekmac. Tu as toujours des bonus de derrière les fagots bien sympa (j'adore les bonus, les bons bonus et les tiens sont vraiment bons) et le plus souvent en HD 1080 (le top). Certains diront que les fichiers ne sont pas des plus légers mais il faut ce qu'il faut pour que la qualité soit au rendez-vous. Un grand merci à toi pour tous ces beaux partages et ces présentations qui ne sont pas de simples copier-coller. Je suis plus qu'heureux d'avoir découvert ton blog.

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    1. Merci Roger pour ton appréciation, ravi que le lien que j'ai volontairement laissé chez Kebekmac t'ait conduit ici, sur mon blog. N'étant pas publicitaire dans l'âme, il a pourtant bien fallu commencer par laisser un lien quelque part pour avoir un peu de visibilité, après tout, si j'écris c'est tout de même pour être lu... Mais je ne force pas les choses, le bouche à oreille fera le reste...
      J'aime assez le blog comme moyen d'expression, j' avais besoin d'un forme d'expression un peu plus personnelle que ce qui est proposé dans les forums de partage...Bon, comme je ne suis pas une lumière en informatique, il y a encore ici ou là, quelques aspérités à gommer, mais je me perfectionne avec le temps, tiens, j'ai même commencé à mettre des photos pour rendre la lecture plus agréable...
      Oui, c'est vrai, ce blog me demande du temps, de l'investissement, du travail, mais, c'est bien connu, quand on aime, le travail est un plaisir...

      Ah les bonus...tu as raison c'est vraiment important, pour moi, c'est déjà la marque que le sujet me tient particulièrement à coeur. Ils permettent d'approfondir un sujet, d'avoir disons, des angles de vue différents, d' éclairer un film, quelque fois on n'imagine pas à côté de quoi on peut passer... S'adjuger les analyses pertinentes d'un Bertrand Tavernier, Patrice Brion ou d'un Serge Bromberg, pour ne citer qu'eux, c'est assurément bien plus qu'un gage de qualité, c'est cinématographiquement parlant, l'assurance d'une meilleure compréhension d'un film. Qui permet, autant que faire se peut, d'aller au fond des choses. Après, je rajoute ma petite touche personnelle, fruit de mes lectures et de mes recherches sur la toile....
      Au plaisir de te lire mon cher Roger.

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